La porcelaine de Limoges

Le XVIIIe siècle : les débuts

Depuis le XVIIIe siècle, date des premières productions, la notoriété de la porcelaine de Limoges s’est développée au point que le nom de la ville évoque instantanément l’art de la porcelaine. Avant cette date, l’histoire de la céramique européenne peut être considérée comme une longue recherche entreprise par l’Europe entière pour percer le secret de fabrication de la porcelaine, découverte en Chine au VIe siècle. La fascination qu’elle exerça s’explique en grande partie par le mystère qui parut longtemps miraculeux d’une argile permettant d’obtenir, grâce à l’alchimie du feu, une matière blanche, translucide, brillante et sonore. Même si les européens maîtrisent alors certains arts du feu tels que le verre ou la faïence, il leur manquait un matériau indispensable, le kaolin, qui donne à la porcelaine blancheur, dureté et translucidité. C’est au XVIIIe siècle que l’on trouva enfin des gisements exploitables en Europe : en 1709 en Allemagne, puis en 1768 en France, à Saint-Yrieix-la-Perche, localité voisine de Limoges. C’est à partir de cette découverte que naquit et se développa la porcelaine de Limoges. Sous les auspices de Turgot, alors intendant du Limousin, qui y vit une source de ressource pour la région, la première manufacture fut créée en 1771, puis protégée à partir de 1774 par le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI et futur Charles X. La production reprend les décors couramment utilisés pour les objets en porcelaine tendre au cours des années précédentes, à savoir des motifs de fleurs en jeté de petits bouquets. Le filet doré en dentelle d’or est souvent utilisé, fréquemment doublé d’un filet bleu uni. Les formes produites sont simples et peu nombreuses. Après le rachat de la manufacture de Limoges en 1784 par la manufacture royale de Sèvres, les formes et les décors devinrent plus recherchés et raffinés. Entre 1771 et 1774, seuls les biscuits semblent avoir porté une marque. À partir de 1774, l’entreprise placée sous la protection du comte d’Artois utilisa systématiquement les initiales du prince “CD”, marque qui fut conservée jusqu’à sa fermeture en 1796. Au cours de la fabrication, les objets étaient marqués en creux, et, après la pose du décor, ils recevaient la marque en couleur, le plus souvent rouge, mais parfois bleue.

La première moitié du XIXe siècle : les pères fondateurs de la porcelaine

Après la Révolution française, la production reprit et les manufactures se multiplièrent en Haute-Vienne. En 1827, il existait déjà seize manufactures, et en 1850, elles étaient plus de trente. Leur histoire est très complexe car, non seulement leur nombre est très important, mais elle se créèrent et déclinèrent au gré des crises politiques et économiques. Quelques manufactures de renom marquèrent cette période, notamment celles de Baignol, Pierre Tharaud, François Alluaud et du comte de Bonneval. À partir de 1830, la production, tout en continuant à produire beaucoup de vaisselles de tables, se dirigea vers l’art décoratif sous l’influence d’artistes parisiens, tels que les bronziers Aaron et Valin.

La seconde moitié du XIXe siècle : l’âge d’or de la porcelaine de Limoges

Les Expositions universelles furent un facteur d’émulation et de développement pour les manufactures. C’est pourquoi à partir de 1851, elles marquèrent leur production afin d’être reconnues par les milliers de visiteurs qui se rendaient à ces expositions. La maîtrise et le savoir-faire technique des manufactures limougeaudes étaient incontestables. C’est l’époque où les entreprises s’attachèrent à développer la notion de “Blancs de Limoges”, afin de vanter à la fois la qualité des kaolins et la perfection des techniques de fabrication. Les pièces présentées sont en effet remarquables par leur forme parfaite et leur blancheur. La manufacture la plus représentative est sans aucun doute celle de Pouyat. Le chef-d’œuvre de sa production, le service “Grain-de-riz”, présenté lors de l’Exposition universelle de 1878, fut réalisé d’après un modèle du célèbre artiste parisien Albert Dammouse. La technique employée est celle des jours cloisonnés qui consiste à évider la porcelaine et à remplir les trous ainsi formés par de l’émail translucide. Le dernier quart du siècle fut dominé par la manufacture Haviland. Félix Bracquemond, directeur artistique d’un atelier de recherche ouvert par Charles-Édouard Haviland dans le quartier d’Auteuil à Paris, introduisit à Limoges des décors inspirés par le japonisme. Grâce à ses bureaux américains, Haviland ouvrit le marché outre-Atlantique à l’ensemble des porcelainiers de Limoges. Outre les blancs devenus fameux, Limoges développa la technique du grand feu qui permettait d’obtenir des coloris élégants et subtils.

La porcelaine de Limoges du XXe siècle à nos jours

La première moitié du XXe siècle est marquée par l’émergence de deux styles : l’Art nouveau et l’Art déco. Ceux-ci influencèrent alors la production des porcelainiers qui collaborèrent étroitement avec des artistes de renom. C’est grâce à l’entreprise GDA que l’Art nouveau fut introduit dans la porcelaine de Limoges. Siegfried Bing, initiateur de ce courant, avait remarqué l’entreprise à l’occasion de l’Exposition universelle de Chicago en 1892, et il lui demanda d’éditer les modèles en porcelaine que lui proposaient les artistes Edward Colonna, Georges de Feure et Paul Jouve. La porcelaine de Limoges réaffirma sa notoriété en 1925 lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, tenue à Paris en 1925. Elle donna son nom au style qui s’épanouit dans les années 1925 : l’Art déco. De nombreuses manufactures firent alors appel à des artistes de renom parmi lesquels Lalique, Dufy, Sandoz… Plusieurs des services présentés proposaient des formes architecturées, proches du cubisme. La Seconde Guerre mondiale porta un coup rude à la porcelaine de Limoges et son industrie eut à relever plusieurs defis, dont celui de rétablir l’activité en adaptant les outils de production à un nouveau contexte : au milieu des années 1950, l’introduction de fours cellules à gaz fut l’un des symboles les plus marquants de ce redressement soutenu par les besoins nés de la reconstruction. À cette époque, où plus d’une trentaine de manufactures de porcelaine étaient actives à Limoges, la reprise de l’activité économique bénéficia à ces entreprises. Toutefois, la concurrence internationale les incita à renouveler leur production dans les années 1970. En sollicitant des artistes de renom, les manufactures de Limoges s’ouvrirent au design : la volonté était alors d’introduire l’art dans la vie quotidienne, en créant des objets correspondant aux nouveaux modes de vie de la société occidentale. Raymond Loewy ou Roger Tallon ont ainsi proposé des modèles aux formes inédites en porcelaine, le premier créant par exemple un service pour Air France en 1976, le second s’associant avec le cristallier Daum et l’orfèvre Ravinet-d’Enfert pour le service “3T”. Par ailleurs, cette production jouissant toujours d’une image d’excellence, des chefs d’États du monde entier ainsi que de grandes maisons de luxe ont souhaité que leurs services soient en porcelaine de Limoges. Loin d’empêcher l’innovation, la fidélité à l’égard de la tradition stimule au contraire la création contemporaine. Les “Blancs de Limoges” demeurent une référence absolue pour les créateurs qui font de la porcelaine la matière de leur art. Afin d’encourager l’innovation, plusieurs initiatives ont vu le jour pour associer étroitement les entreprises et les créateurs : ainsi, l’association Esprit Porcelaine, la fondation d’entreprise Bernardaud ou encore le Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre (CRAFT) ont-ils à cœur de soutenir la création contemporaine. Les plus jeunes générations s’approprient également la porcelaine et créent leur maison, à l’image de Non sans Raison, qui renouvelle par ses décors, ses formes et sa technicité, la porcelaine de Limoges. Enfin, soulignons que les entreprises de Limoges enrichissent constamment les collections du musée en offrant leurs dernières créations : par ce geste généreux, elles demeurent fidèles à une tradition instaurée au XIXe siècle avec Adrien Dubouché, qui fait aujourd’hui du musée un lieu unique pour découvrir la porcelaine de Limoges.