Vendredi 14 octobre 2022
Musée national Adrien Dubouché
Matinée
8h30 : Accueil des participants et du public
Thème : Questions sociales et éducatives autour de la porcelaine de Limoges au XIXe siècle
Présidence de séance : Martine Yvernault, professeur émérite de l’Université de Limoges
9h00-9h30 : Les femmes dans l’industrie porcelainière par Annette Marsac, sociologue
La présence des femmes dans l’industrie porcelainière n’est plus à démontrer, que ce soit en amont dans les carrières d’extraction du kaolin où elles portent, trient le kaolin souvent en compagnie d’enfants, dans les ateliers de décor, puis à la sortie des fours dans les différents stades de la production. À tous les niveaux de la fabrication, la spécialisation, la hiérarchisation et la rémunération apparaissent différenciées. À la division sociale se superpose une division genrée des tâches. La combinaison des sources émanant des administrations ou des entreprises, des travaux savants, des quelques récits révèle un monde du travail au féminin. La comparaison entre les trajectoires ouvrières dans des espaces différents comme ceux de l’extraction éloignés d’un centre urbain et celui de la production en milieu urbain montrent les similitudes et les particularités de ces inscriptions dans le salariat tout comme l’appartenance à des corps de métier et à une classe sociale.
9h30-10h00 : La formation et la professionnalisation des jeunes filles à l’École nationale des arts décoratifs de Limoges de 1881 à 1908 par Adèle Lamade, titulaire d’un Master 2 à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Dans un XIXe siècle où les cours et écoles de dessin sont avant tout des institutions masculines, l’École des arts décoratifs de Limoges, nouvellement nationalisée en 1881, ouvre ses portes à la fois aux jeunes filles et aux jeunes gens désireux de se former au dessin. Elle a pour objectif officiel de former des artisans d’art et des ouvriers utiles à l’industrie locale, mais en pratique, répond peu aux besoins des industriels et est assimilée à une école des Beaux-Arts, conséquence notamment de l’enseignement académique peu spécialisé défendu par son directeur.
Penser la formation et la professionnalisation au prisme du genre permet ainsi de questionner les enjeux de l’accès des femmes à l’enseignement et la pratique des arts. La formation aux arts décoratifs, déclassés dans la hiérarchie des arts, permet-elle finalement aux jeunes filles, elles-mêmes considérées comme des créatrices mineures, d’acquérir des ressources utiles professionnellement, voire une légitimité artistique au sortir de l’école ?
10h00-10h15 : Pause
10h15-10h45 : Adrien Dubouché et l’Union centrale des Beaux-arts par Anaïs Alchus, conservatrice Arts décoratifs au musée d’Orsay
Membre fondateur de l’Union centrale des Beaux-arts appliqués à l’industrie en 1864, Adrien Dubouché s’appuie sur les principes de l’institution parisienne pour soutenir l’industrie porcelainière limousine. Convaincu que seule l’initiative individuelle peut assurer à sa région natale le dynamisme artistique nécessaire à la prospérité de cette industrie, il fonde la Société des Amis des Arts du Limousin, fédère artistes, ouvriers, industriels et collectionneurs autour du projet du musée céramique. Il est à l’initiative de la création de l’École des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie en 1868, financée à part égale par la Ville de Limoges et les porcelainiers.
Cette communication propose une comparaison entre le modèle de l’Union centrale et l’application qu’en font Adrien Dubouché et ses proches entre 1864 et 1881. Elle repose principalement sur l’analyse de la politique d’acquisition du musée durant cette période, les enjeux de la création de l’école, et les premiers succès de l’école aux concours de l’Union centrale. L’exemple de Limoges est ainsi posé en perspective des enjeux de l’enseignement artistique et de la création de musées d’arts décoratifs dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe.
10h45-11h15 : Marie Bracquemond (1840-1916) et la manufacture Haviland : une artiste peintre au sein de l’atelier d’Auteuil (vers 1872-vers 1881) par Ludivine Fortier, étudiante en classe préparatoire aux concours de conservateur du patrimoine à l’École du Louvre
Peintre, dessinatrice et graveuse impressionniste, Marie Bracquemond est aussi l’auteur de décors pour la porcelaine de Limoges. Sa collaboration avec la manufacture Haviland, au sein de l’atelier de création d’Auteuil, confié à son époux Félix Bracquemond (1833-1914) entre 1872 et 1881, demeure pourtant méconnue. Après des débuts de carrière de peintre au Salon, l’artiste contribue au renouveau du décor souhaité par Charles Edward Haviland, et à une union entre art et industrie. Elle réalise aussi bien des dessins pour des services en porcelaine que des peintures sur des vases et des plats en faïence. L’étendue de ses œuvres, enrichie de redécouvertes récentes, permet de retracer les étapes de la création d’un décor, la diversité de ses productions – jusqu’au panneau monumental de carreaux de céramique Les Muses des arts conçu pour l’Exposition universelle de 1878 – et l’importance de la céramique dans sa carrière. Les années d’Auteuil sont le temps d’innovations artistiques et d’un passage aux sujets de la vie moderne, la rapprochant alors de l’impressionnisme.
11h15-11h30 : Questions et clôture de la matinée
Après-midi
Thème : Mondes du travail et univers porcelainiers
de la fin du XIXe au début du XXe siècle
Présidence de séance : Clotilde Druelle-Korn, maîtresse de conférences habilitée en histoire contemporaine, économique et sociale, CRIHAM – Université de Limoges
14h00-14h30 : Comme un trait de couleur entre les manufactures. Les échanges techniques et artistiques entre Limoges et les foyers céramiques du Berry par Philippe Bon, attaché de conservation, Musée Charles VII – Pôle de la porcelaine de Mehun-sur-Yèvre
L’oralité historique n’a souvent retenu que de vaines querelles entre les différents centres porcelainiers. Pourtant, en Berry, et plus particulièrement au sein des fabrications “Spéciales” de la manufacture Pillivuyt de Mehun-sur-Yèvre, les échanges artistiques et d’artistes ont été réels. Alphonse Lamarre, sculpteur-modeleur, y arrive depuis Limoges, dans la suite de son père, peintre à Paris. Jules-Auguste Habert-Dys propose ses formes et ses décors tant à Limoges qu’à Mehun et Sèvres, Albert Monganaste se retrouve tout à la fois en Limousin et en Berry. D’ailleurs, dès la première moitié du XIXe siècle, les “Blancs” limougeauds sont régulièrement décorés dans les ateliers mehunois de Charles Pillivuyt. À l’inverse et dans l’idée de la “Spéciale” qui travaillait avec le bronzier d’art Paul Louchet, Albert Pillivuyt ouvre un atelier sur Limoges afin de sertir d’argent ses porcelaines berrichonnes. Cette histoire de terre et d’hommes repose aussi sur l’arrivée en Berry, avant de glisser vers le Limousin, des Haviland, qui garderont toujours un lien particulier avec les Pillivuyt. D’échanges artistiques en solutions techniques, les familles se lient et, ainsi, les Lamarre, Chomette, Pica ou Giraud se retrouvent-ils au sein des mêmes arbres généalogiques. L’un des pivots de tout cela reste Eugène Halot, un chimiste transfuge de Sèvres, qui a su magnifier par ses relations interentreprises, les arts industriels du Berry sous les verrières des Expositions universelles.
14h30-15h00 : La manufacture Ahrenfeldt par Vincent Brousse, professeur agrégé d’histoire
La manufacture Ahrenfeldt, située jadis dans le haut de la rue Montmailler, rue de Brantôme très exactement, a été construite à Limoges au tournant du XIXe-XXe siècle. Elle est liée à la « success story » d’un patron germano-américain et d’un directeur suisse allemand, originaire de Zürich. L’encadrement mi-limousin, mi-suisse germanophone reflète cette diversité.
La commande passée au photographe suisse de Jongh met en scène ce succès, tout en restituant la réalité du développement de cette entreprise et de son insertion, pour partie réussie, dans la société limougeaude et dans la mondialisation.
15h00-15h15 : pause
15h15-15h45 : Les porcelainiers saisis par l’enquête (1890-1914) par Dominique Danthieux, professeur d’histoire-géographie, chercheur associé au CRIHAM – Université de Limoges
La Révolution industrielle a provoqué selon l’expression du sociologue Robert Castel « une désaffiliation de masse ». Privés de leurs réseaux de solidarité traditionnels par une législation d’inspiration libérale, contraints de chercher du travail en ville et livrés aux affres du travail industriel, cette catégorie sociale nouvelle, les « ouvriers », soulève l’intérêt des élites. À la « Belle Époque », les questions du salaire, des conditions de vie et de travail bénéficient d’un intérêt renouvelé alors que les luttes sociales croissent en intensité. Que faire pour que cessent les tensions et règne l’harmonie ?
La pratique de l’enquête sur les mondes industriels, les monographies de groupes professionnels réalisées dans le cadre de thèses de droit, les monographies leplaysiennes fournissent au chercheur en histoire sociale un abondant matériau. Elles nous informent sur les sociétés ouvrières autant qu’elles nous renseignent sur les représentations de leurs auteurs, leurs préjugés parfois…
Appliquées au milieu porcelainier, leurs résultats nous permettent-ils de mieux cerner et comprendre la réalité d’un groupe social ?
15h45-16h15 : Questions et clôture du colloque par Clotilde Druelle-Korn.